La laque : un médium contemporain

La caresse du saule – 2008 – 18 x 27

Difficile lorsqu’on évoque les techniques de peinture par le médium des laques de ne pas songer naturellement, dans un premier temps, à leurs lointaines racines orientales qui datent de plus de 5000 ans. La laque nous renvoie à un patrimoine culturel traditionnel et emblématique. Un héritage riche d’enseignements, certes légitime, qui ne justifie pas pour autant que l’on perdure à cantonner la laque au continent asiatique et à l’assimiler trop exclusivement à des temps ancestraux et à des voies passéistes.

Lorsqu’on parle de tableaux contemporains à l’huile, on ne se réfère pas aux origines éloignées de la peinture sur toile et on ne retrace pas la genèse de la peinture à l’huile. On analyse encore moins la chimie des pigments colorés employés dans les tableaux. L’argument ne vise pas à occulter le savoir-faire spécifique de la peinture par le médium des laques. Il tend plutôt à ne pas réduire ses créations à un discours limitatif et trop technique au détriment de l’art
.

C’est un point essentiel pour appréhender les tableaux d’Annie Sliwka et surtout pour saisir pleinement leur portée contemporaine dans l’histoire de l’art, car c’est bien de cela dont il s’agit.

Corail rouge – 2005 – 35 x 48

Encore faut-il dépasser les idées reçues, les amalgames, le regard formaté institutionnel qui est de rigueur… 

Avant de clore cette question, disons seulement qu’Annie Sliwka est parvenue au fil du temps et de ses expérimentations, à mettre au point une palette technique combinatoire très élaborée. 

Elle a su prolonger et distancer une compétence traditionnelle par des procédés novateurs tenus secrets, dont elle est l’instigatrice et la seule ambassadrice.

Ajoutons sans rentrer dans des querelles identitaires et terminologiques que les tableaux en laque d’Annie Sliwka n’ont strictement rien à voir avec des œuvres décoratives, artisanales ou liées aux métiers d’art qui appartiennent, sans aucune connotation péjorative, à un autre registre. Annie Sliwka utilise la laque comme un moyen d’expression au service de l’art, un médium parmi d’autres comme on en trouve dans les domaines de l’huile et de l’acrylique.

Les tableaux d’Annie Sliwka ne relèvent volontairement pas des critères arbitraires, souvent plus spéculatifs qu’artistiques, qui conditionnent et définissent l’art contemporain tel qu’on l’entend au sens médiatique de l’actualité artistique.

Le rêve doux et magique, la beauté sublime, la poésie, le raffinement, la délicatesse, la grâce, ne sont à l’ordre du jour ni dans notre société, ni dans le conformisme opaque et scolastique de l’art actuel. Des thématiques qui sont à contre courant puisqu’elles ne sont pas le reflet de l’art contemporain consacré. C’est un choix personnel de l’artiste en conformité avec ses valeurs authentiques, sa sensibilité profonde, son imagination créatrice féconde, sa nécessité intérieure. Esthétisme, musicalité, poétisation ne sont pas synonymes de rétrogression. L’histoire de l’art ne s’écrit pas dans le court terme et on peut conjecturer qu’après un certain recul beaucoup d’œuvres encensées, aujourd’hui représentatives de l’art contemporain officiel, seront peut-être perçues différemment… 

Mettons de côté l’esthétique extraordinaire des tableaux d’Annie Sliwka, l’expérience multisensorielle inoubliable que l’on éprouve en les contemplant. La laque est surtout un moyen d’expression artistique protéiforme dont la portée et les possibilités expansives sont extrêmement riches, pour ne pas dire inépuisables. C’est en ce sens un nouveau langage réapproprié, un médium contemporain désacralisé qui ne demande qu’à être développé et davantage exploité, enrichi de manière créative dans des directions multiples et infinies, quelles que soient les hybridations de formes, de stylistiques, de factures. Une renaissance de la laque qui offre bien des ouvertures dans l’histoire de l’art. L’avenir sera en mesure de dire qu’il s’agit bien là des prémices d’un nouveau courant artistique majeur qui changera notre regard sur le monde et sur l’Art.

Marie-hélène Barreau Montbazet , Docteur es histoire de l’Art